Ne vous est-il pas déjà arrivé de fondre devant des bébés au point de vouloir leur croquer les joues ? N’avez-vous jamais craqué pour une adorable peluche ou figurine kawaii ? Nous sommes irrésistiblement attirés par ce qui est mignon. Mais pour quelle raison ? Quel est le phénomène qui nous fait fondre devant le mignon ? Dans le monde de l’art, le mignon a clairement trouvé sa place dans tous les registres : chibi et kawaii japonais, créatures d’animation de type Croquemou ou bébé Groot. Mais comment arrivent-ils à réussir à créer du mignon sans se tromper ? Je me demande s’il y a des règles en dessin et en couleur qui me permettrait de réaliser un univers mignon, sans aller dans le super-kitsch acidulé.
J’ai exploré un peu cet univers et je me suis essayée à quelques exercices pour vraiment comprendre comment dessiner mignon.
En parcourant mon magasin habituel, je tombe sur ma collègue libraire qui m’attrape par le bras en m’entraînant devant un des rayons. A deux mains, elle saisit un livre en s’exclamant : « Regarde ! C’est TROOOOP mignon !« . Avec des yeux pétillants, elle me fait parcourir les pages de ce livre qui s’intitule Dessiner des choses mignonnes. On était là, toutes les deux, à tomber en pâmoison devant des dessins de chats mignons, de renards mignons et puis, de stylo mignon, de voiture mignonne… bref ! Tout dans ce livre provoquait en nous une sorte d’empathie démesurée pour ces créatures dessinées.
Je me suis alors demandée : comment se fait-il que j’aie une réaction pareille devant ces dessins ? Comment l’auteur de ce livre a-t-il fait pour trouver les codes du dessin trop chou.
Qu’est-ce que le mignon ?
Lorsque je me suis suis posée cette question improbable et que j’ai cherché des réponses, je suis tombée sur des faits encore plus improbables. Les premières recherches scientifiques étayées sur cette question ont été menées par un ancien partisan repenti du nazisme : Konrad Lorenz. Ce Prix Nobel de physiologie archi-reconnu développe dans son ouvrage Essais sur le comportement animal et humain: les leçons de l’évolution de la théorie du comportement en 1970 les caractéristiques jugées mignonnes par les adultes :
un front arrondi et saillant, de gros yeux, un joli nez, une bouche fine, un menton délicat, des joues bombées, des petits membres bouffis, une peau élastique, un corps tout doux et une tête plus grosse par rapport au reste du corps
Konrad Lorenz
Ce qui est incroyable, c’est que ces caractéristiques sont universelles car nous sommes capables de détecter un enfant, un animal ou un objet mignon en Chine, en Argentine comme en France.
Le phénomène-réflexe devant un être ou objet mignon est l’attendrissement et l’envie d’en prendre soin. Cette réaction est loin d’être anodine car la survie de l’espèce est en jeu. Prenons exemple sur les humains : si les parents, à la naissance de leur enfant, n’étaient pas attendris par la fragilité de leur petit être, ils ne s’en occuperaient pas. De fait, le nourrisson humain étant incapable de survivre seul sans soin, l’espèce humaine s’éteindrait.
Ainsi, quand on s’extasie devant un animal ou enfant mignon, c’est quelque part un réflexe pour permettre à notre espèce de perdurer.
Je ne m’étendrai pas plus sur le côté scientifique du sujet mais vous trouverez des références pour approfondir en fin d’article, si vous le souhaitez.
Dessiner mignon ou kawaii
Pour comprendre ce qu’est le mignon, je vous propose quelques tests pour tester votre perception.
Test 1 : Qui de A ou B vous semble le plus mignon dans chaque dessin ?
Test 2 : Regardez attentivement les deux propositions sur chaque ligne et choisissez la version qui vous paraît la plus mignonne.
Normalement, dans le test 1, vous avez préféré le chat B en image 1 et le chat A en image 2. Dans le test 2, c’est l’état enfant que vous devez trouver mignon, que ce soit chez l’homme ou le chat.
Si on revient aux caractéristiques du mignon décrites par Lorenz, pour dessiner et incarner le mignon, il faut rapprocher les proportions à celles d’un bébé ou d’un jeune enfant.
Les proportions pour faire un dessin de visage mignon sont :
- les yeux légèrement en dessous du milieu du visage
- l’écartement des yeux assez large
- de grands yeux
- un nez très arrondi voire pas de nez
- une bouche rapprochée de la ligne des yeux.
- des oreilles toutes petites voire pas d’oreille
Si on veut faire un personnage entier, il faut absolument dessiner une tête plus grosse que le reste du corps en proportion.
Ce sont exactement les proportions du chibi ou SD (super-deformed) character que l’on rencontre dans les mangas, les dessins animés japonais ainsi que le merchandising.
Dessiner un univers mignon ou kawaii
Kawaii (可愛い) est l’adjectif japonais pour désigner ce qui peut être aimé, quelque chose de mignon. La culture japonaise affectionne énormément les choses mignonnes, dignes d’être aimées. On peut même parler de culture kawaii en raison de la production massive d’objets en tout genre qui suscitent de l’attendrissement et qui inondent leur marché. Par exemple, la compagnie Sanrio, à l’origine de Hello Kitty et autres figures kawaii, propose des produits aux couleurs de ton pastel aux enfants comme aux adultes. Les Pokémon, dont l’emblème est Pikachu, représentent l’essence même de l’univers mignon, si on regarde sa première génération : Carapuce, Bulbizarre, Salamèche, Evoli, etc. Toutes ces créatures n’appellent en nous qu’une chose : la tendresse.
La construction d’un univers kawaii ou mignon implique l’humanisation d’objets ou créatures avec des proportions de bébé:
- yeux ronds et espacés
- bouche rapprochée des yeux
- mimiques se rapportant au bébé
Les couleurs choisies sont aussi importantes. Les tons pastels et couleurs atténuées sont préférés aux couleurs vives qui se révèlent plus agressives.
Les formes, si elles présentent naturellement des angles, doivent être arrondies et douces. Les lignes cassantes n’ont rien à faire dans l’univers mignon. Le preuve en est dans l’histoire du dessin de Mickey la souris et l’étude menée par S.J. Gould.
Lorsqu’on aperçoit la souris dans Steamboat Willie, Mickey a un corps adulte et les attitudes facétieuses. Pour le rendre plus attachant, les dessinateurs lui ont donné un corps juvénile et enfant. Ainsi il deviendrait l’icône mignonne de l’univers de Disney.
Il y a encore de nombreuses choses à dire sur le mignon mais l’essentiel pour débuter est là. Le mignon est réellement un rapport à notre état passé de bébé. Ce phénomène est partagé de manière universelle par de nombreuses cultures. C’est pourquoi le kawaii japonais se répand et prend racine dans tous les pays du monde avec une telle facilité. Il répond à un besoin intime de réassurance, d’empathie et de bien-être dans des sociétés où le maternage s’écourte de plus en plus. Le mignon fait du bien, alors, il n’y a qu’à en faire.
Références
ttp://www.slate.fr/lien/63487/pourquoi-mignon
http://www.slate.fr/story/111073/bebes-animaux-mignons-violence
https://www.huffingtonpost.com/2012/11/26/science-of-cute_n_2171987.html
http://www.atlantico.fr/decryptage/pikachu-aux-bebes-pandas-pourquoi-photos-animaux-mignons-retournent-facilement-cerveau-nathalie-nadaud-albertini-2803080.html
http://www.uhearst.ca/sites/default/files/publications/lagression-du-mignon_quand-cest-trop-mignon.pdf
https://faculty.uca.edu/benw/biol4415/papers/Mickey.pdf
Très mignon, cet article !
Ha! Oui, c’est mignon tout plein !
Excellent définition sur l’univers kawaii: « l’humanisation d’objets ou créatures avec des proportions de bébé ». Et très bien expliqué ce phénomène qu’on observe depuis quelque temps (et de manière général, une certaine « infantilisation de la société » en ce qui concerne la culture artistique, ce qui me convient très bien, moi, future illustratrice!)
Et merveilleux ce blog, pour la grande qualité de ses articles!
Le sujet du mignon est absolument passionnant et mériterait plusieurs articles pour l’approfondir. Les clés pour rendre les choses mignonnes sont là: se rapprocher le plus du bébé dans ses proportions pour susciter l’émoi naturel « Ooooh! C’est trop mignon ! ». Merci beaucoup pour votre commentaire.